19/12/2025

In memoriam Jean-Pierre Chambon

Jean-Pierre Chambon

Linguiste, philologue, et un homme d’exception

(20 juin 1952 – 16 décembre 2025)

 

Jean-Pierre Chambon, né à Clermont-Ferrand le 20 juin 1952, est mort ce 16 décembre 2025.

Professeur de linguistique romane et de langue et littérature d’oc en retraite de l’université Paris-Sorbonne où il a dirigé le Centre d’enseignement et de recherche d’oc (le CEROC), ancien directeur du Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW) de Walther von Wartburg, il avait auparavant été professeur à l’université de Strasbourg puis de Montpellier.

 

Linguiste, romaniste, lexicologue, (micro) toponymiste, philologue, critique et exégète de littérature française et occitane, ses champs d’études principaux étaient ceux de la langue occitane, gasconne, française, et francoprovençale, à travers le temps. Il s’est démarqué par des travaux savants couvrant un champ exceptionnellement large du savoir sur les mots (y compris de la littérature) allant de l’établissement du texte à l’interprétation du sens. Son activité scientifique intense, donnant lieu à la publication de très nombreux articles de revues et comptes rendus, et à des ouvrages remarquables, lui a permis de développer une méthode de travail éprouvée ; cela dans nombre de domaines de la linguistique et de la philologie.

Ses derniers travaux sont encore à paraître, mais chaque année a vu la livraison de nombreuses contributions déterminantes, dernièrement encore, dans notre domaine, sur l’étude de Flamenca, ou d’une charte auvergnate.

Ce savant aimait lire et étudier la poésie, les chartes autant que la littérature romane, quelle que soit sa langue et son époque de composition ; la poésie particulièrement. En quelque sorte fasciné par l’histoire des noms de lieux et des mots d’un territoire, il avait ces dernières années beaucoup travaillé à l’étude de la toponymie de l’arrondissement de Lure sur laquelle il a notamment publié une monographie en 2024. Parmi la somme qu’il nous laisse, il faut détacher pour la littérature d’oc et l’étude de la poésie de décolonisation occitane, ses travaux sur l’œuvre des frères Rouquette, la notion de canon de la littérature, et notamment, modèle du genre, son étude des Cançons mauvolentas de Gilabèrt Suberròcas accompagnée d’un reprint du recueil. Il faut souligner qu’il avait aussi, avec d’autres, traduit en français Se rauqueja ma votz de Jean Larzac, la Prima lezione di filologia d’Alberto Varvaro et un manuel de philologie romane de Pietro G. Beltrami A che serve un’edizione critica ? Leggere i testi della letteratura romanza medievale. Avec ces deux derniers ouvrages, il espérait rendre plus accessible aux étudiants français ces textes aussi réflexifs que pratiques, et peut-être, aussi, les livrer à un public déjà formé chez qui l’idée même de philologie connaît quelques lacunes. Il a notamment plaidé avec force pour des éditions philologiques de la littérature d’oc contemporaine, et des glossaires dignes.

 

Il reçut en 1985 le prix Albert-Dauzat de la Société de linguistique romane, la médaille de bronze du CNRS en 1991, et fut récipiendaire du Prix Honoré-Chavée de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (2018), du prix Albert-Dauzat de la Société française d’onomastique (2022) ; il était aussi Docteur honoris causa de l’Université de Liège (2019). Un temps président de la Société de linguistique romane, il fut pour nous un vice-président de l’Association internationale d’études occitanes. Il avait la volonté constante d’élever les études occitanes au-dessus des militantismes (auxquels il reconnaissait toute leur place hors du champ de la science) et de les porter au plus haut degré de raffinement intellectuel du travail de recherche, et de son corollaire, l’enseignement, auquel il accordait une grande place dans sa vie, auprès d’élèves et d’amis qui constamment venaient prendre conseil auprès du maître. Il a ainsi formé toute une génération de romanistes. Ses travaux publiés sont autant de jalons sur laquelle notre communauté scientifique peut s’appuyer.

 

Ce fut un honneur de le connaître, de l’écouter et d’apprendre à ses côtés. Les études occitanes perdent avec lui un homme qui, en leur accordant une attention absolue et tout le sérieux dont il avait l’art, fut l’un des rares qui ait compris et les enjeux et l’ampleur du problème de la discipline.

Fidèle, généreux, sérieux et provocateur parfois, il était un maître, et quel homme !

 

 

Marjolaine Raguin